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Confesse Book

106 – Cecil est mort ce soir

Au Nord des Etats-Unis, dans le Minnesota, dans la grande banlieue de Minneapolis, quelqu’un se fait peut-être soigner une carie aujourd’hui par un tueur en série de 55 ans, qui exerce librement son métier de dentiste à Bloomington. Dans cette ville où se trouve le plus grand centre commercial des Etats-Unis, il y a même un parc d’attractions couvert, mais il faut croire que ces amusements, manèges et stands de tir ne suffisent pas pour exciter le dentiste qui traverse le monde avec son arc et son carquois, pour aller tuer des grands animaux sauvages. Ce récidiviste qui se pavane en photo sur son blog  auprès d’un mouflon tué au Nevada ou d’un grand élan au Canada, est un méchant obsessionnel déjà condamné pour avoir assassiné un ours noir dans le Wisconsin. Il a été interdit de chasse, mais c’était plus fort que lui, et il est reparti assouvir ailleurs ses pulsions, discrétos en Afrique. Sauf que, pas de pot, cette fois-ci le connard n’a pas seulement tué « un » lion, il a tué Cécil, un lion qui comme lui, Walter James Palmer, avait un nom, et qui plus est, ce lion était depuis treize ans l’icône du parc national Hwange au Zimbabwe. Souvent pris en photo, avec sa grande et belle crinière noire, ce lion existait pour lui-même avec sa fiche d’identité, on le savait père de famille avec 6 lionceaux venant de naître. Il était doté d’un émetteur, une puce GPS, grâce à laquelle on a pu retrouver sa carcasse étêtée, et retracer ainsi sa lente agonie de trois jours. N’est pas Howard Hill ou Robin des Bois qui veut, ce mauvais tireur du Minnesota avait seulement blessé l’animal, qui se traîna pendant des jours, et fut ensuite achevé par un fusil avant d’être décapité, pour en prendre le trophée. Beurk.

On peut se croire protégé par son nom, mais quelques fois ça ne suffit pas ( … ), et quand on est lion, la menace est permanente: on peut être tué, juste parce qu’on est un lion, un beau lion.

Comme s’il avait tué Clarence, – celui qui louchait dans la série « Daktari » (qui signifiait « docteur » en swahili)- le faux-indien de Bloomington a commis l’erreur de s’en prendre à un symbole. Un peu comme si ce crétin avait interrompu la vie du Roi Lion en pleine séance devant les enfants, le tireur à l’arc a tué l’emblème du Zimbabwe.

Le Zimbabwe anciennement Rhodésie, est un pays de 14 millions d’habitants, situé au Sud de l’Afrique, une enclave entre le Malawi, la Zambie, le Botswana et l’Afrique du Sud. Depuis 2009, sa monnaie est le dollar US.

Mis à part l’autoritaire président Mugabe (91ans), au pouvoir depuis 1987, qui s’est lui, enrichi personnellement, le pays est classé dernier en terme de développement humain. Erosion des sols, sécheresse, la nécessité de combustibles et la déforestation ont aussi contribué à la diminution, voire la disparition de nombreux représentants des espèces animales. Là-bas, la pauvreté mène au braconnage. Souvent incultes, et surtout inconscients du tord qu’ils font à la Nature, les braconniers sont des mercenaires, prêts à tout pour quelques sous. C’est leur métier. Quand on les arrête, c’est à peine s’ils comprennent ce qu’on leur reproche. Et toujours la même question qui revient : qui est coupable ?

Mais le résultat est là ! Il y avait environ 200 000 lions en Afrique dans les années 70, aujourd’hui il en reste moins de 25 000 ! L’hécatombe est encore plus nette chez les tigres, aujourd’hui il n’y a plus que 2800 individus sur les 100 000 estimés en 1930. Et que dire des éléphants ? 5 à 10 millions de pachydermes vivaient sur le sol Africain, il y a 80 ans, aujourd’hui, on estime à peine à 400 000 le nombre de survivants. Quant aux rhinocéros, qui ont le malheur d’être « nez » avec une corne qui fait fantasmer les Chinois, on considère que 500 bêtes sont sacrifiés chaque année pour le compte de négociants qui fabriquent avec ladite corne, une poudre de perlimpinpin dont les vertus aphrodisiaques n’ont jamais été démontrées.

Les médias insistent de façon démago sur la somme de 50 000 € que le commanditaire aurait versée pour avoir son « 007 », droit de tuer; mais ce n’est pas seulement une histoire d’argent, c’est une question d’éthique. Plus on insiste sur le fait que la somme est élevée, plus la question se déplace autour d’un débat portant sur  « riche / pauvre». Pour moi, s’il avait payé 500€, ce serait tout aussi sordide, tout aussi condamnable. La mort n’a pas de prix.

Et ce type devrait être aussi au banc des accusés. Car cet assassinat était prémédité. Le meurtrier n’a fait qu’utiliser les connaissances de complices locaux mieux renseignés que lui, qui ont attiré l’animal avec une carcasse, en dehors de la réserve. Qu’on accuse les complices certes, mais lui, ce salaud est bien venu pour ça. De quel droit un méchant archer manipulateur de roulettes et arracheur de dents, peut-il débarquer tel un extra-terrestre au Zimbabwe, pour assassiner un animal qui vit là dans son milieu naturel depuis qu’il y est né ?

Oui c’est ce manque de morale, de civisme, c’est aussi l’hypocrisie des fabricants d’armes, et le cynisme grotesque des arguments développés par les pratiquants chasseurs sur fond d’écologie, qui nous parlent d’atavisme ou « d’attachement aux valeurs de la  tradition » et autre « culture ancestrale », c’est ce mensonge, de tartufe qui  fait rugir le lion qui sommeille en nous, et qui me fait à mon tour sortir ma réserve face à toutes les formes de loisirs criminels d’un autre âge, dont celui qu’on appelle la « chasse ».

Quelle qu’ait pu être la durée de la traque, la jouissance du chasseur urbain ne tient qu’à l’euphorie indescriptible qui l’envahit au moment de tuer.

En dehors bien sûr des chasses de régulation, contrôlées par les gardes assermentés pour le maintien de la population des espèces, il n’y a plus aujourd’hui dans nos régions asservies à la grande distribution, aucune raison de nécessité justifiant cette pratique.

Sur un mur du Périgord, un jour j’avais lu « aux chiottes les chasseurs ». Je n’avais pas bien compris le rapport, mais en réfléchissant bien, je me dis que c’est vrai, il y a une certaine logique : quand ça pue la merde, il faut tirer la chasse.

Le lion est mort ce soir.

 

® CharlElie – Paris – Juillet 20XV