En amont de la sortie d’un livre qu’elle préparait sur les années 80, Caroline Loeb m’avait demandé de lui envoyer les réflexions que m’inspiraient le souvenir de cette époque..
Ce livre vient de sortir aux éditions Vent de Sable.
Pour moi, les années 80 furent des années d’énergie mutante.
Les souvenirs de la guerre de 39/45 commençaient à s’effacer. À ce moment là, quand on parlait de « guerre mondiale », le mot n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui… On commençait à évoquer des conflits entre consortiums industriels internationaux, mais les tractations entre puissances d’argent et politique restaient encore très secrètes. Seuls les journalistes enquêteurs étaient au courant de ce qui se passait… La crise du pétrole de 1973 avait alerté certains sur la possibilité d’un emballement des cours des énergies fossiles. Naquirent les « Verts » et leurs doutes, mais dans l’ensemble les gens restaient confiants.
Il y avait encore beaucoup de mystères à élucider, et Actuel faisait voyager l’information en envoyant des reporters à travers la planète.
Le bloc de l’Est n’avait pas encore explosé. Certains, pleins d’enthousiasme, pensaient que l’Union Européenne pouvait être une bonne solution pour affronter une Amérique jugée trop libérale. Les « Amé-requins » ont toujours eu les dents longues!
On n’avait pas encore compris le sens du mot récession. Il y avait du boulot plein les colonnes d’offres d’emplois, des petits boulots, pénibles et mal payés, mais on ne chipotait pas, et d’ailleurs c’était pas vraiment important: quand on est jeune comme l’étions, ce qui comptait c’était de se faire une peu d’argent de poche. Les « choses » ne coûtaient pas si cher ; enfin, on ne dépensait pas tant dans les téléphonies mobiles.
Les nouveaux riches commençaient à accumuler d’énormes richesses en profitant des spéculations boursières pas toujours très claires; les traders autodidactes cocaïnés découvraient l’argent virtuel. Mais les vrais riches déconnaient avec leurs liasses seulement en privé. L’argent n’était pas encore devenu une fin en soi et le « Bling bling» ostentatoire restait cantonné en Floride.
Le porno X se démocratisait, et les Rocco Sifredi ou Casanovas, Travolta des Saturday Night Fevers, pouvaient sans complexe s’adonner corps et biens à l’amour libre; si « néSEXaire », on savait guérir leurs MST. Jusqu’à ce que les chercheurs concentrés sur le cancer, voient soudain apparaître le spectre du Diable Sida.
À la différence des routards de la BEAT génération qui inventaient des paradis « ailleurs », à la différence des hippies fleuris qui avaient rêvé construire un monde meilleur en dehors des conventions, saturées, épinglés, suicidaires, les Punks désabusés des années 80, imaginaient que le monde allait s’arrêter après demain. « No futur ». Pogo et Suicide, on se foutait en l’air, sur place, en se faisant péter la cervelle à longueur de rails de dope sniffés lors de parties décadentes, et coulaient des flots de champagne grand cru. Ah ! La mauvaise haleine au matin des fêtes des années 80 !!!
Dans les années 80, on creusait le sol avec l’espoir d’atteindre un filon, de cuivre, de charbon, ou d’or. Tout était en puissance. La graine avait été semée, elle mais n’avait pas encore fleuri comme le chiendent du cynisme sur le terril des années 90.
Amnesty International, Médecins Sans Frontières, GreenPeace, les OMG se développaient en même temps que les événements pour la défense des grandes causes façon Band Aid / SOS Ethiopie.
Les systèmes commençaient à s’emballer, mais l’hyper communication n’était pas encore omniprésente. Certes on rêvait de pouvoir un jour se déplacer avec son téléphone, mais c’était encore une utopie.
Mécanisation robotisation des usines commandées par ordinateurs, la technologie venait à prendre l’ascendant sur un monde à taille humaine.
Les instruments électroniques et les sons de synthèse commençaient à remplacer les instruments acoustiques amplifiés. Alternative Rock / Pop et début des raves techno, la musique était le reflet des illusions, mais il restait beaucoup à faire pour que les premiers Mac cessent de buguer.
Le cinéma aussi se faisait son cinéma : montages hachés, thèmes plus cruels et images violentes, sanglantes. Les acteurs du grand écran conscients de leur valeur de banquable au box office, faisaient monter les enchères, tandis que les comédiens de théâtre déclamaient encore leurs tirades en faisant des grands gestes. Les séries télé et soap comédies étaient – considérée comme une sous-culture, une sous-marque.
La danse n’en finissait pas de se réinventer comme la mode et Jean Paul Gaultier.
La radio se libérait des tutelles d’état qui jusque-là supervisaient leurs programmations.
Les politiciens faisaient semblant de rajeunir en enlevant leur cravate…
Et subrepticement la télévision a pris le pouvoir, pour devenir un canal de propagande unique, commerciale / marketing, remplaçant l’irrigation des rivières de la pensée.
Les années 80, c’était comme l’escalier qui monte au plongeoir de 10m.
On était des plongeurs, à la fois remplis d’excitation pour ce qui pouvait arriver, impatients mais aussi inquiets, en gravissant les marches. Doc Martins aux pieds, le casque de walkman sur les oreilles, à fond, on s’interrogeait sur le saut qu’on allait faire dans le grand bain du XXième siècle.
Soulé de décibels et de watts, les jambes en coton, sortir en boîte, on plongeait dans la ouate.
Pour avoir dans les mains, « mes années 80 de A à Z » le livre de Caroline Loeb, je trouve l’objet bien conçu, parfaitement illustré dans l’esprit de l’époque. Pour ceux qui les ont vécues et qui seraient pris par la nostalgie, comme pour ceux qui voudraient découvrir ce que furent ces années 80, ça pourrait faire une bonne idée de cadeau en fin d’année…
Ouate, vous avez dit What?
® CharlElie Couture – NYC 20XV