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Chapitres

101 – J’ai rendu les clés

J’ai donc rendu les clés à Angel le super-intendant qui gère les bâtiments brancroches du groupe propriétaire du block d’immeubles. « Voilà, c’est fini » comme disait Jean-Louis Aubert. Je n’irai plus au 362 West 36th street, où j’ai vécu l’une des périodes les plus remarquables de ma vie. Croiser ces gens, ces centaines de gens venus de partout, les entendre me raconter des histoires, leurs histoires, vraies ou fausses, politiques ou personnelles, plus ou moins dans le détail, (parfois très intimes), inspirés / libérés par ce qu’ils voyaient aux murs, en cela que l’Art est une fenêtre ouverte sur l’inconscient, tous ces échanges ont fait de cette période une expérience de vie incroyable.

Même si j’étais souvent venu à NYC avant de m’y installer, et même si j’y avais déjà vécu sept ans avant de signer le bail pour ce local, je voyais néanmoins New York de façon un peu théorique pour ne pas dire touristique.

Comme beaucoup d’étrangers travaillant ici, peuvent y vivre en fréquentant quasi exclusivement les membres et acolytes de leur communauté professionnelle, j’avais vécu jusque-là coupé de la réalité de terrain. Je parlais de la vie ici en comparant des principes, des préceptes et mécaniques, mais sans avoir vraiment eu les pieds dans la boue.

Pendant cinq ans, j’ai été aux aguets, guettant du coin de l’oreille les bruits incongrus qui pénétraient mon espace quand je regardais le mur sur lequel était fixé ma toile. La porte vitrée ouverte sur la rue, je posais mon pinceau encore humide, et me levais soudain pour accueillir tels Russes venus de l’Oural, tel coiffeur de star, tel Charlie junky ex-batteur dont la femme avait été tuée par le tueur en série Joel Rifkin, un pêcheur de Rod Island, des snobs du Upper East Side, un Jacob photographe de Portland, deux skateurs black, un écrivain de pièce de théâtre pour enfants qui écrit une pièce pour des animaux domestiques (… ?) et des Belges ou des Français envoyés par « quelqu’un qui leur a dit que… », ou « alors maintenant vous vous êtes  « mis à la peinture », ou d’autres venus pour voir « celui qu’ils avaient aimé du temps de l’Avion sans aile ». Etc.

Pendant cinq ans, ma musique intérieure s’est mêlée à celle du dehors, aux klaxons, sirènes d’ambulance, de pompiers ou celles des flics du commissariat à côté, marteaux-piqueurs faisant trembler le sol, ou infra basses des low speakers diffusant le beat des musiques à fond s’échappant par la vitre ouverte de quelque sourd au volant, ou ronrons des moteurs de bagnoles débouchant du New Jersey en passant par le tunnel du FDR…

En cinq ans, j’en ai bouffé de la poussière et lavé les vitrines une fois par semaine, passé l’aspirateur ou lavé le sol sans cesse recouvert de cette poussière grise qui ne cessera qu’avec la fin des énergies fossiles.

Pendant cinq ans, à peine atterri, à Newark je me rendais là, et je m’installais derrière mon bureau avec cette auto-contrainte de me rendre à tout moment disponible autant que philosophe ou aimable  ( tant que possible).

Comme celui qui se dit qu’il doit prier coûte que coûte s’il croit qu’un jour il pourra rencontrer l’Être Inaccessible, (Ultime Illumination), comme un pêcheur qui se met au bord de l’eau, et trempe sa ligne rêvant de voir s’enfoncer son bouchon dans cette eau sombre qui ne laisse rien voir de ce qu’il y a là, nageant dans son courant.

Oh bien sûr, je n’ai pas fait que cela; mais j’étais addict. C’était une routine journalière comme une obsession.Une contrainte de travailleur, que je le veuille ou non, je DEVAIS m’y rendre.

Je n’ai presque plus voyagé, j’ai repoussé un certain nombre d’invitations à plus tard, en me dévouant à fond à cette tâche,

Alors, je me suis retrouvé à moitié à l’écart du tiers.

Dans quelques heures, je vais rentrer en France (Festivals cet été, expos à la rentrée).

Avant de repartir sur une nouvelle aventure, je vais faire le bilan de ces cinq années passées entre quatre murs aujourd’hui déjà repeints dans un blanc neutre.

Clé d’Ut, clé de Fa ou clé du sol, j’ai rendu le trousseau. Je suis vacant, en vacance (du latin vacare /être vide).

Le même jour l’intuitif sensible Alain DeGref, le grand Eddy Louis, et le vieux trouble Charles Pasqua ont aussi rendu les clés.

 

® CharlElie – NYC – Juin 20XV

 

PS :

Sauf que moi, je ne suis pas mort,

J’en veux encore,

Si je suis quelque chose aujourd’hui,

Je suis more !!!