« Stairway to heaven »
Putain, Gilles c’est quoi cette histoire d’escalier ?
J’étais sur mon piano ce matin quand le téléphone a sonné. Un journaliste m’appelait de France pour avoir mes impressions sur le décès de Gilles Verlant.
– Quoi ? Mais… Euh… ma réaction ? Gilles … ?
Ma tête est vide. Je ne comprends pas ce qu’on me dit. Je bredouille :
– Comment est-ce arrivé ? Mort de quoi ? Quand ?
On me répond succinctement qu’il est tombé cette nuit dans un escalier. Merde ! Encore un escalier tueur. Fait chier.
Je pense à lui. Je l’imagine les quatre fers en l’air. Je l’imagine qui tombe et en même temps il se dit « Merde, mais qu’est ce qu’il m’arrive, non, c’est trop con, c’est impossible, je ne peux pas mourir, j’ai des trucs à finir… ».
J’ai mal pour mon pote.
– Mince, j’ lui ai même pas dit au revoir.
Quand un ami sans va comme ça, par accident, c’est comme un film qui vous claque dans la cervelle avant la fin de l’histoire.
J’ai envie de lui : Non, Gilles t’en vas pas, déconne pas, on a encore des repas à partager et des trucs à faire ensemble…
Mais Gilles ne me répondra plus.
Les souvenirs que nous avions ensemble me sont revenus, confus comme des carreaux de faïence en désordre dans une boîte, avant de faire une mosaïque.
Lui qui fut pendant des années la « voix de Canal » était bien plus qu’un chroniqueur léger ébauchant en quelques mots les traits de caractère de ceux qu’il faisait semblant de traiter avec désinvolture. Gilles Verlant était de ces vrais journalistes gourmands d’informations, autant consommateurs de concepts que vecteurs de pensées et diffuseurs d’idées.
Nous avons entretenu ensemble une relation d’amitié fidèle pendant plus d’une vingtaine d’années, depuis la fin des années 80 quand il bossait avec Antoine Decaunes à Rapido ou avec Karl Zéro sur canal+, jusqu’à un passé plus récent, Gilles ne m’a jamais laissé tomber.
Il avait toujours deux ou trois projets en route en même temps.
Né en Belgique, il aimait la bande dessinée comme d’autres aiment l’Art, il se régalait de toutes les nouveautés.
Erudit du rock, et mélomane invétéré, il aimait la musique autant qu’un besoin. Bien sûr, habitué au show bizz dont il connaissait les ficelles, il avait ses idoles, ses références : Bowie, les Beatles, Balavoine, Gainsbourg ou Françoise Hardy pour n’en citer que quelques uns, mais il restait curieux de tout ce qui se passait dans le domaine de la chanson.
Il avait une impressionnante collection de vinyles et de Cd’s ; dans sa maison de la proche banlieue parisienne, une pièce était entièrement réservée au stockage de tout ce qu’il avait écouté. Il m’a fait parfois découvrir des groupes inconnus, qui pour certains le sont restés, malgré son soutien, mais dont il connaissait chaque détail de la bio.
Malgré l’asthme et les allergies qui l’étouffaient parfois, Gilles avait du souffle, il regardait loin devant. Fin gourmet, portant le masque joyeux de tous les grands angoissés, il savait apprécier les choses de la vie.
Gilles était un pro des médias, adapté à son époque, un homme précis qui se régalait des détails d’importance, un pinailleur jouisseur, un intellectuel actif, qui aimait autant les promenades autour du mont Ventoux que les soirées tumultueuses dans l’électricité parisienne.
Gilles va me manquer. Pourtant je ne l’oublierai pas, et pour cause d’avocat : un été, il y a quelques années, il m’avait invité à venir le visiter dans sa maison de Carpentras. Au petit-déjeuner, chose étonnante, Gilles m’avait suggéré sur le pain, de remplacer le beurre fermier par de la chair d’avocat saupoudrée de poivre pilé. En guise de réveil des papilles, c’était en effet surprenant mais délicieux.
Je ne dis pas que je suis resté un adepte systématique de cette pratique culinaire, mais il n’empêche que, chaque fois qu’il m’est arrivé de le faire, dans une sorte de communion virtuelle portée par le souvenir, j’ai pensé à celui que m’avait inspiré cette recette.
Demain matin, je penserai encore à toi, Gilles.
® CharlElie – NYC – Septembre 2013