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Confesse Book

05 – Tous les Tattoos

Un tatouage c’est de la douleur bien sûr, plus ou moins intense selon les terminaisons nerveuses et les endroits du corps. Une douleur choisie, consciente, offerte.

Comme une cicatrice, un tatouage, c’est une histoire.

Mais quand la cicatrice te marque de façon aléatoire là où l’accident t’a blessé, le tatouage est une inscription (à priori) désirée. Si intense qu’elle soit, la peine disparaît dés que l’aiguille électrique a fini son boulot cutané.

Quand je suis parti faire une tournée en Asie, en 1986 j’avais ce fantasme des marins qui se faisaient tatouer une ancre quand ils survivaient aux tempêtes, et des motards qui résistent à tout, ou des bagnards qui n’ont rien d’autre à faire pour tuer l’ennui que de se faire souffrir pour redonner un sens à leur existence.

Et moi, dans la mythologie Beat & Rock, je voulais me faire tatouer le mot « Art » en lettre chinoise. Mais on ne restait pas assez longtemps dans les villes que nous visitions et la chose n’a pas pu se faire à ce moment-là. J’ai attendu dix ans et un autre voyage au Viet Nam pour demander aux bonzes d’un monastère, de dessiner pour moi cet idéogramme qui signifie « Art »  ainsi qu’un autre qui signifie la « Vie ».

Au retour, j’ai adapté ces deux dessins et je suis allé dans un squat de Belleville que Sarah M. m’avait indiqué. C’était en 1996, la première fois que je sentais l’effet de feu que fait l’aiguille qui laboure l’épiderme en la chargeant en encre. Ça n’était pas vraiment casher, mais ça me faisait du bien d’avoir ces marques sur mon corps. J’étais fier d’être tatoué, comme si ça me rendait plus fort, comme si ça me donnait confiance, comme on se choisit un prénom, comme si j’avais acquis une certaine crédibilité, (celle de la route et des voyageurs du crépuscule), comme si j’avais avalé une casserole d’arabica ou un tube de Guronsan, (la coke du pauvre), trois barres de Mars et ça repart, ou une demi pinte de Jack Daniel’s en relisant Kerouac…

Et puis avec les années ces premiers tatouages ont perdu leur effet. Comme si leur pouvoir s’estompait au fur et à mesure que leur contraste s’estompait. Dans les années 2000, un tatoueur de la place de la Bastille a complété ces premiers signes par trois autres griffures représentant l’état de mon âme. D’autres ont suivi à New York, et puis à San Diego. Là-bas, on se promène souvent le dos nu. Il y a beaucoup de tattoo artists sur Garnet Street / Pacific Beach. La première fois je suis entré par hasard chez « Tattoo Ink Spot », Jon s’est occupé de mon cas. Avec sa tronche de d’Artagnan et son accent du Sud à couper au couteau, il a une poigne de fer et son trait est « très » sûr. J’y suis retourné cette année pour la suite de mes aventures écrites à la pointe de son dard électrique.

On dit que se faire tatouer est un rituel addictif.

Le fait est qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de tatoueurs que de cordonniers… Les tatouages sont à la mode. Certains sont allés très loin dans le dépassement des limites de la douleur. Rob, un de mes copains s’est fait tatouer « le silence est d’or » sur la lèvre à l’intérieur de la bouche. J’ose même pas penser ce qu’il a souffert ; et comme il avait trop salivé, il a même dû y retourner pour que le mec en remette une couche… Un autre s’est fait tatouer un Sak Yant (mantra bouddhiste) de 500 signes sur les côtes…

Des inmates se font tatouer les yeux, d’autres se font tatouer le gland, les tétons ou la vulve, d’autres vont même jusqu’à s’arracher les ongles pour se faire tatouer en dessous etc. Chacun son truc, le masochisme est sans limite.

Sachant que j’en avais dessiné pour des amis, on me demande parfois des modèles, mais j’accepte rarement. Non qu’il s’agisse d’argent, mais je préfère savoir pour qui je dessine ce signe qui restera (…) toujours. Se faire tatouer est un acte important.

Je passe beaucoup de temps sur mes sketches. J’aime les formes abstraites qui suggèrent néanmoins quelque chose. Les plus beaux tatouages ont du sens, comme des pensées à diffusion lente.

Si mon père fut tatoué en arrivant au camp de concentration, il n’avait en revanche pas vraiment choisi la police des chiffres que le soldat Allemand inscrivit sur son bras, mais dans notre monde occidental où chacun tente désespérément de se définir, chaque tatouage est une représentation allégorique de son propre mystère. Gare à ce que tu montres de toi !

Papillons et nénuphars, figures d’effroi ou Mickey mouse, dragons enflammés ou diables et squelettes menaçants pour repousser les forces du mal, comme l’Art exprime ce qu’on ressent à l’intérieur, le tatouage met en image les démons et les gnomes qui nous hantent.

Tattoo old school ou Celtique, Gothique, réalisme sérieux ou cartoon joke, obscène ou religieux, traditionnels, asiat’, ethniques, Maoris ou yakuzas, tattoo-gag décidé sur un coup de tête un soir de beuverie, ou icône de célébration d’un acte majeur, depuis le rikiki à deux balles jusqu’aux fresques en couleurs qui demandent beaucoup de temps et de courage.

Dans les tattoos, t’as de tout,

Totems et tabous,

Les cartes en main t’as tous les atouts,

L’Excuse, le 21 et le P’tit au bout.

 

CharlElie – New York – May 20XIII