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Confesse Book

03 – La beauté du diable

A l’origine, l’imagerie populaire représentait l’esprit du Mal sous des aspects hideux et repoussants. On montrait des assassins avec des sales gueules. Les criminels portaient sur leur visage, inscrits dans le masque, les traits de la peine qui les avait poussés à devenir méchants par vice ou par vengeance, par écœurement, par bêtise ou par désespoir. En les voyant on lisait de la haine, de la douleur, on pouvait déchiffrer ce malaise qui les avait amenés à commettre des actes horribles.

Par voie de conséquence, l’habit faisant sinon le moine du moins l’évêque, les gens avaient coutume de se méfier des édentés, des pouilleux, des tatoués, des scrofuleux, des malheureux estropiés ou personnes « différentes » qu’on mettait à l’écart. C’était une espèce de reflex de Pavlov du genre « craindre ceux qui ne vous ressemblent pas. »

Mais depuis quelques temps les choses ont changé : aujourd’hui ne faut-il pas craindre justement ceux qui vous ressemblent ?

Quand on voit les sourires d’anges de Dzhokhar Tsarneav ou de Mohamed Mehra, on se dit que le diable a bien changé d’enveloppe. Il s’est adapté. Pour passer inaperçu, il n’est plus déguisé sous une cape d’halloween avec des dents de vampire et des cicatrices de marin. Le Diable n’a pas été élevé tel un doryphore dans la pomme de terre pourrie d’une existence-insecte, il ne rampe pas dans la nuit tel un scolopendre carnassier, il ne surnage pas avec les tritons  le ventre en l’air dans les marais sulfureux, non aujourd’hui le Diable est bien élevé, en jogging et capuche, il a un téléphone portable et il s’affiche sur Facebook.

Le Diable ressemble à ton copain, on a du mal à anticiper ses crimes, il n’est même pas forcément affilié à Al Qu’Aïda. Un juge de mes amis, m’a dit un jour : « si tu connaissais l’histoire des gens que tu croises, tu n’oserais même plus sortir dans la rue ! ». Je trouvais ça parano, mais quand je regarde le visage des frères Tsarnoev je n’arrive pas à lire l’évidence du danger. Tout au plus, j’y vois le vide.

Bien sûr les faits-divers ne sont pas exclusivement l’apanage des crapauds pustuleux, cela fait belle lurette qu’en première page on voit des coupables issus de tous les milieux (sans parler des escrocs de l’Etat ou des violeurs en trois lettres qui ont toujours existé) Non, mais aujourd’hui plus que jamais en première page le diable a une gueule d’ange, cet ange déchu qui se veut l’égal de Dieu tout en le rejetant.

L’égal illégal.

En quelques heures, grâce aux caméras de rue, Big Brother et compagnie observant les  comportements des spectateurs du marathon de Boston, on a pu déceler des attitudes « a-normales». Deux jours après l’explosion, dès le mardi circulait déjà sur le web une liste d’une quinzaine de « suspects » parmi lesquels les deux frères Tsarneav qui ressemblaient à tout sauf à des terroristes barbus.

Le Diable vient du latin diabolus, lui-même traduit du grec qui signifie « celui qui divise », qui « désunit ».  Il y a cette dualité dans le « di-abolus » qui marque la scission.

Et c’est bien ce que tentent de faire ces esprits malins qui s’en prennent lâchement à des innocents : foutre la merde, créer le chaos, l’injustice, et le désordre.  So what ?!

Mais dans ce cas, pourquoi ne pas s’attaquer aux banques ? à la grande distribution ? Aux industries chimiques ? Centrales atomiques ? Ou aux organismes qui financent le monde ? Non ils s’attaquent à des innocents sans défense.

Si en armant les cocottes minutes, la volonté du Diable est de diviser la société, c’est une grave erreur de stratégie. La société est un nuage, elle se fait et se défait. Elle est insaisissable et restera la même et les marathons continueront de se courir etc.

La société d’aujourd’hui est entourée d’un cocon, un coussin protecteur d’idéologies généralistes, une sorte de protocole de paroles qu’on appelle les médias. Aujourd’hui aucune pensée ne se transmet sans l’assentiment des médias.

Les journalistes et communicants ont remplacé les prêtres.  Certains d’entre eux adoubent, béatifient, sanctifient, jugent, punissent, pardonnent, justifient ou condamnent de façon aléatoire, parfois jetant l’opprobre sur ceux-là mêmes qu’ils ont vantés quelques mois auparavant. Mais à la différence des églises qui agissaient au nom d’une idéologie identifiable, les médias d’aujourd’hui s’expriment au nom du « plus grand nombre possible » dans toute sa diversité mosaïque. Le dieu des médias s’appelle Audimat. C’est à lui que les médias obéissent.

Pourquoi ? Mais pourquoi  de tels attentats ?

Si la volonté du Diable est de diviser, alors il faudrait qu’il trouve autre chose plus subtile pour y arriver, car ce genre d’agressions explosives a un effet contraire à celui escompté.  Lorsque ce « plus-grand-nombre-possible » qui constitue l’Audience, se sent atteint dans la chair de sa chair, il se regroupe, resserre les rangs et cautérise ses plaies en écoutant des litanies en réaction et des commentaires émus pleins d’empathie. Sur les ondes défilent des prompteurs de pensées compatissantes qui solidarisent immanquablement le public du spectacle média, qui s’identifie avec les victimes.

La plupart des Musulmans sont des religieux honnêtes et néanmoins, on trouve souvent l’Islam comme un commun dénominateur dans le discours de ces terroristes illuminés (quand il existe) de même  on entend aussi la dénonciation de l’immoralité du système capitaliste, mais quoi ? En quoi est-ce que mettre fin à la vie d’un gamin de huit ans, d’une étudiante chinoise et une jeune fille de 29 ans, en quoi est-ce que faire 140 estropiés plaidera pour un retour aux valeurs morales préconisées par le Coran ?

Non, ces actes isolés n’ont aucune utilité politique. La terreur qu’ils engendrent naît surtout de la connerie de leurs auteurs. Il n’y a aucun message, si ce n’est celui de dire au monde « JE » dans la pire expression narcissique.

Luka Magnotta et d’autres criminels modernes du genre de M.D. Chapman (assassin de J. Lennon), ces gens ne sont avant tout que l’incarnation de leur propre malaise égo maniaque à l’affût d’une reconnaissance personnelle débile. Comme si la starisation médiatique leur donnait accès à l’immortalité.  Mais la notoriété est un bouquet de fleurs aux parfums volatiles ; les fleurs coupées fanent très vite.

Beau ou laid, qui peut comprendre le Diable. Ainsi soit-il.

 

® CharlElie  / New York  24 Avril 2013